Il était adossé contre moi sur la banquette la première fois que notre ressemblance m’a frappée. Les yeux presque fermés, les pattes repliées sur sa petite bedaine poilue, il s’était installé à l’endroit où les rayons du soleil frappaient les coussins avec le plus de force.
J’avais maintenant une vie de chat.
Ce fut une brutale constatation.
Cette bête qui erre d’un élément confortable à un autre, qui se repose sur la banquette, puis sur le tapis et aboutit immanquablement sur le divan… Qui reste entre ses 4 murs à attendre la visite. Qui mange, joue un peu, puis retourne se coucher. Qui fait sa toilette entre deux siestes et réclame d’abondants câlins tout au long de la journée.
Depuis ma maladie, nous avions beaucoup en commun. L’idée que ma vie stimulante et frénétique de femme accomplie en soit réduite à ressembler à celle de mon chat n’a pas été un constat super positif pour mon moral…
Mais à ce moment-là, outre le fait qu’il était considérablement plus poilu que moi et que j’étais toujours 100% indépendante en ce qui concernait la gestion de ma « litière », je dois dire qu’il y avait une autre différence flagrante entre Gaston et moi : il ronronnait. Moi pas.
Il aimait sa vie. Il était content, heureux, satisfait.
J’étais frustrée. Déboussolée. Terrifiée.
Beaucoup trop pour apprécier, comme lui savait le faire.
Quelques mois plus tard, nous nous retrouvons de nouveau sur la banquette ensemble. Et voilà que ça me frappe : j’ai appris à ronronner !
Il serait trop long de vous raconter tout le chemin parcouru pour venir à bout de mes peurs et de mes frustrations (partie remise ). Mais j’ai envie de vous partager cette réussite, celle qui m’a amenée dans l’acceptation et le contentement. Celle qui me permet maintenant de m’étendre sur la banquette sans entrer dans la culpabilité et compter les secondes avec rage.
Je m’y étends, heureuse d’accueillir les rayons chauds du soleil sur mon visage et de profiter du paysage blanc qui s’étend au-delà de ma fenêtre.
Comme j’aimais beaucoup ma vie d’avant, mon premier réflexe dans l’analyse de ce qui m’arrivait n’a pas été de la remettre en question. La maladie m’avait frappée, comme la foudre qui frappe sans raison, sans sélection.
Mais plus j’avance dans cette convalescence, plus mon corps me livre des messages, que je reçois au compte-goutte.
La majorité des gens aux prises avec la covid longue ou le syndrome de fatigue chronique ont un dénominateur commun : ce sont des gens dont la vie était préalablement TRÈS active.
Pourquoi ? J’ai lu bien des théories sur le sujet. Aucune certitude. Mais je dois dire que mon gros bon sens me parle assez fort….
Ai-je fait quelque chose pour que mon corps se retrouve dans cet état, autre que d’attraper la covid ?
Franchement, je pense que oui. Et je le constate sans me culpabiliser, juste comme une observation.
Je ne savais même plus comment me reposer. Les vacances d’été me voyaient désemparée, je remplissais ma vie, encore et encore, avec ce sentiment d’urgence de devoir en profiter. La seule façon que je connaissais de me reposer était de faire bouger mon corps. L’activité physique était mon mode de repos. En vérité, je ne m’arrêtais que lorsque je n’avais plus la force de rien faire. S’il me restait une once d’énergie, je m’assurais qu’elle soit bien dépensée. Jamais d’économie; pour quoi faire ?
Dois-je vraiment me surprendre que mon système se soit ainsi déréglé ? Que mon parasympathique ne sache plus comment fonctionner (ou ne s’en donne plus le droit)? Que je me sois complètement dérégulée ?
Il est bien arrogant de penser pouvoir abuser ainsi de son corps et ne jamais avoir à en payer le prix…
Ronronner est nécessaire à la santé. C’est un apprentissage très riche que m’apporte la maladie. J’ai appris à apprécier le vide et la lenteur et j’ai pu découvrir leurs bienfaits.
Je pense que le moment où j’ai commencé à adopter l’attitude de Gaston est celui où j’ai compris que je n’étais pas sans projet. J’en avais un, plus gros que tous ceux que j’avais menés de front auparavant. Plus long, plus difficile, plus complexe et plus gratifiant encore. J’avais le projet de guérir. De réparer mon corps, de faire amende honorable envers lui.
C’est alors que j’ai pu me reposer avec satisfaction. Je ne sais pas combien de temps encore je devrai être aux petits soins. Réparer les dégâts. Le temps qu’il faudra. Et Gaston sera un constant rappel pour moi de la considération que je devrai toujours avoir pour mon corps, même une fois remise, pour que nous puissions faire équipe et ne plus jamais avoir à nous affronter.