Vivre ensemble, irritant et consolant
L’anthropologue et productrice du documentaire Heureux naufrage, Xavie Jean-Bourgeault, avance ceci : « Le peuple canadien français qui est issu du christianisme et qui vit en Amérique, je l’aime de tout mon coeur ! Il est unique, complexe et vrai. Il est créateur, innovateur et ouvert. Il prône l’égalité, il tente de vivre le respect. Il a, comme tous les autres peuples, eu une période d’enfance et de naïveté, mais aujourd’hui adulte, il est prêt aux débats et aux défis d’un monde en changement ».
Ces propos sont d’une justesse et d’une affirmation affective remarquable que j’embrasse sans retenue. Cependant, en observant certains traits culturels populaires de l’Occident, dont les médias sociaux et traditionnels, nous pouvons constater que le débat qu’apporte ce défi d’un monde en perpétuel changement est plutôt singulier, houleux et passionnément émotif, et ce, sans raison éclairée par une pensée intelligente et honnête.
Les sujets controversés et tabous en ce début du 21e siècle ne sont pas rareté.
Nous savons, par exemple, que la pauvreté dans les pays en voie de développement est gigantesque, et cause la mort de millions d’êtres humains annuellement. Ce sujet tabou qui met en évidence certaines blessures des sociétés riches est plutôt mis à l’index. Pourtant, il serait intéressant d’avoir une discussion intelligente et honnête sur le partage des biens matériels sur la planète. Défi. Certainement ! Puisque cela nous impliquerait au-delà d’un débat télévisuel ou sur tous les «Facebook» de ce monde. Ce genre de réflexion collective mettrait à nu nos faiblesses, nos manquements, bref nos souffrantes blessures que nous tentons de cacher par la capitalisation de nos activités sans prendre en considération, ou presque, le contexte communautaire multiethnique dans lequel nous sommes campées.
L’arrivée massive en Occident de gens de confession islamique vient tellement bouleverser nos habitudes fondées sur une pensée convergente et unique, que nous avons perdu tout repère de notre patrimoine enraciné dans le christianisme.
Ce christianisme, nous l’avons bafoué par toutes sortes de révolutions et de mises en scène dénudées de son histoire. Ces remous théâtraux aux allures de coups d’état mettent en évidence le grand besoin de l’âme humaine d’être valorisée. Cette valorisation, nous l’avons cherchée dans la capitalisation de nos activités au nom d’une émancipation, d’une liberté qui nous a conduits davantage vers nos blessures individuelles et incontournables qui rongent nos racines vitales sociales. Souffrance qui se présente sous le signe du rejet de l’autre dans sa diversité.
Pourtant, nous faisons l’éloge de la diversité. Nous la crions comme un héraut la proclamerait au milieu de la cité construite ensemble. Vive la liberté, vive la différence, vive l’amour ! Vraiment ?!
Je suis un témoin privilégié et participatif à ce système capitaliste existentiel, qui prône une vision incohérente et qui n’arrive plus à rallier unité et diversité. Force est d’admettre que l’espoir au bonheur promis s’effrite. Devant la pénurie de solution, la patrie met systématiquement de l’avant uniquement des activités aux intérêts économiques.
Je propose de considérer avec humilité, une invitée qui n’est pas souvent assise à ma table, un regard intelligent et honnête sur la portée souveraine de notre racine commune.
Cette invitation n’est pas accompagnée d’une idéologie de valeurs moralistes pathologiques dictées par des institutions oublieuses de leur fondement historique, mais plutôt à un appel aux bénéfices relationnels qu’enseigne l’histoire du christianisme. Il s’agit d’une interpellation plus grande que nous à sortir d’une logique identitaire individualiste pour aller vers une vision d’identité commune de l’être humain. C’est l’héritage culturel de la société occidentale que cette responsabilité par rapport à l’autre.
Comme le disait le regretté Michel Chartrand, vaillant gardien de la justice sociale au Québec : «D’abord si on est chrétien, il faudrait vouloir réaliser ça ce christianisme-là, l’incarner «kekpart» de quelque façon que ce soit… et même si on n’est pas chrétien, l’énergie qu’on a, on en fait quoi ?».
Pour un changement de paradigme, nous avons besoin de mettre en lumière notre patrimoine commun en l’actualisant, en outre, envers les pauvres, les exilés, les immigrants… bref, en l’orientant vers les détresses de l’autre, tout en étant conscient qu’il y aura des abuseurs de ces interactions. Toutefois, eux aussi sont des êtres humains au cœur profondément saignant ; leurs actions troublantes en sont la preuve. Tout comme nous.
Nous aurons toujours le choix de continuer à croire à ces coups d’état collectifs pathologiques extrémistes. Des idéologies qui exploitent nos faiblesses humaines et qui mettent en relief une crise profonde d’absence d’absolu parmi la race humaine, ou alors de vivre ensemble ces bienfaits relationnels salutaires qui caractérisent l’essence du christianisme ; écouter, pardonner, consoler, agir de façon responsable, intelligente, honnête et empreinte de discernement dépourvu de manipulation systémique à la gloire individuelle.
C’est dans cette optique légitime commune que nous avons préparé la conférence La foi chrétienne à la rencontre de l’islam : défis et promesses par le Dr. Amar Djaballah: http://editionsexit.com/collections/conference
Jean O. Destin
Gestionnaire et éditeur associé
Les deux extraits du texte sont tirés du documentaire
L’Heureux Naufrage et du recueil Épaves du cœur
L’ère du vide d’une société post-chrétienne
Ovizion et Éditions Exit, Québec, Canada
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